Coup d’œil dans le rétro
Pour comprendre les arguments qui sous-tendent la théorie de Jérémy Rifkin, un rapide flash-back sur les deux précédentes révolutions industrielles s’impose. Elles ont en commun d’avoir vu converger trois évolutions technologiques majeures : celle des communications (avec la facilitation des échanges), celle de l’énergie (grâce à une baisse du coût d’acquisition) et celle des transports (créant ainsi de nouveaux réseaux de circulation des biens). Au XIXe siècle, le développement de l’industrie et du télégraphe, l’utilisation du charbon, le développement du moteur à vapeur et l’extension du réseau de chemin de fer ont permis à la première révolution industrielle de s’opérer. Au XXe siècle, l’électricité centralisée, le téléphone, la radio, la télévision et l’utilisation d’un pétrole bon marché ont créé les conditions de la seconde révolution industrielle. Nous sommes aujourd’hui au crépuscule de cette période et à l’aube d’une troisième révolution.
L’internet de objets
La troisième révolution industrielle émerge en Europe et en Chine : elle fait converger communication, énergie et nouveaux modes de transport. Internet permet de communiquer, mais aussi d’échanger des données en temps réel sur l’énergie renouvelable et de se déplacer en automatisant le transport grâce au guidage GPS.
Ces trois internet créent un super internet : l’internet des objets.
Aujourd’hui, 13 milliards de capteurs permettent de connecter la race humaine et de commencer à organiser l’activité globale à un coût marginal quasiment nul. Le paradoxe est que ce coût, tendant vers zéro, transforme la façon dont la vie économique est pensée et organisée. L’économie du partage émerge déjà pour la communication, le divertissement, les informations et les connaissances. Les Moocs* ont déjà permis à 6 millions de personnes de suivre gratuitement des cours en ligne, en seulement deux ans. Des centaines de millions de personnes produisent et partagent déjà entre elles.
Une voiture partagée, c’est quinze voitures en moins en production
Un autre exemple emblématique de cette économie du partage est l’automobile : la pièce maîtresse de la révolution industrielle du XXe siècle n’intéresse plus les jeunes générations. Ce qui leur importe, c’est l’usage du bien avant sa propriété. Le covoiturage a de beaux jours devant lui. Autre illustration parlante : une part grandissante de citoyens s’engage dans l’autoproduction d’énergie verte. Demain, ils revendront leurs excédents via l’internet de l’énergie.
L’auto-gouvernance : une utopie ?
Le système actuel tend vers une autogestion des biens. Il existe une multitude de sites sur lesquels on peut partager ses jouets, ses équipements sportifs, ses vêtements ou même son logement. Le couchsurfing** ou la location entre particulier réduisent les circuits, mettent en relation directe le besoin et sa réponse, prônent des valeurs de partage et d’économie financière (voire de gratuité). Pour tous ces services, les utilisateurs sont évalués et leur fiabilité est visible aux yeux de tous. Dans ce nouveau système, la réputation sociale est le régulateur de l’auto-gouvernance : elle devient aussi importante que la capacité à emprunter dans l’économie réelle. A une échelle plus large, en Europe, de grandes discussions émergent autour des positions monopolistiques des possesseurs des tuyaux qui acheminent les communications et l’énergie. En Allemagne, personne n’a pu empêcher des millions de personnes de produire leur électricité de manière collaborative. Aujourd’hui, les grandes compagnies d’énergie ne possèdent plus que 7% de la capacité de production globale du pays.
Pour Jérémy Rifkin, nous sommes sur la voie d’une démocratisation de la vie économique. La production à un coût marginal zéro et l’économie circulaire sont les deux leviers qui permettront de nous engager vers la société du post-carbone.
* Mooc (massive open online course) ou cours en ligne ouvert et massif est un cours dispensé par internet à partir de ressources éducatives libres. Le qualificatif de « massif » se rapporte au nombre de participants simultanés sur une session (jusqu’à 100 000 personnes dans les pays anglo-saxons).
** Le couchsurfing a pour objectif d’assurer un logement temporaire et gratuit entre membres d’une communauté. Sa finalité est de permettre de voyager à bas coût, partout dans le monde.
La nouvelle société du coût marginal zéro : l’internet de objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme. Auteur : Jérémy Rifkin – Traducteur : Paul Chemla – Editions Les Liens qui Libèrent
Portrait ©Knechtel